rencontre avec Kamel Chebli, l’ancien libéro du club africain et de l’équipe nationale : «Mon baptême du feu fut lors d’un derby»

Quand on évoque la fort mémorable participation de notre équipe nationale à la phase finale de la coupe du monde de 1978, il nous revient toujours à l’esprit la profusion et la richesse de l’effectif dont disposait le staff technique national. Lequel effectif était puisé dans l’immense gisement humain dont disposaient à l’époque tous nos clubs, grands et petits, qui regorgeaient de talents confirmés même si l’ère du professionnalisme n’avait pas encore commencé.
Sur ce point bien précis, Kamel Chebli ajoute que «deux facteurs étaient déterminants dans l’éclosion continue de valeureux footballeurs en Tunisie : les terrains vagues qui pullulaient et surtout notre grande culture footballistique issue de la télévision italienne que les Tunisiens, regardaient avec avidité.
Bien évidemment on se délectait généreusement de beau football grâce à la retransmission des matches italiens et européens. Ce phénomène a directement influé sur la qualité de nos footballeurs qui s’étaient imprégnés des techniques footballistiques parfois les plus sophistiquées même avant de faire partie d’une équipe civile. Et du coup, tous nos matches étaient à la fois spectaculaires et très disputés. Alors qu’aujourd’hui nos enfants sont devenus très cérébraux (internet) et démunis de cette grande culture presque innée qui caractérisait les anciennes générations. Cela en plus du fait que les terrains vagues, qui constituaient de vraies pépinières, sont devenus presqu’inexistants».

«J’ai côtoyé trois générations»
Par ces quelques phrases, Kamel Chebli a réussi à dépeindre toute la situation et une bonne partie des raisons ayant abouti à l’image ternie de notre football actuel avec lequel les matches joués à guichets fermés (comme par le passé) sont devenus quasi absents.
Pour ce qui est de la carrière de Kamel Chebli, elle a démarré dans les catégories écoles et minimes avec le petit club de la capitale le «Widad Montfleury». C’était une question de proximité puisque Kamel habitait au quartier populaire de Bab Alouia qui se trouve à quelques encablures de Bab Jédid, le fief du Club Africain.
Et Kamel d’ajouter : «Bien évidemment le cours normal des choses a fait que je sois vite enrôlé par mon équipe du cœur, le CA, où j’ai débuté dans la catégorie des cadets en 1968 à l’âge de 14 ans étant natif de l’année 1954. Et ma carrière avec les seniors a commencé en 1972 à l’âge de 18 ans. Mais ma vraie éclosion a eu lieu en 1974 lors d’un derby qui reste parmi mes beaux souvenirs. Dans ce match que nous avons remporté (2-1) devant 40.000 spectateurs à El Menzah, j’ai été choisi meilleur joueur. Et j’ai été chaleureusement félicité pour mon rendement en particulier par notre entraîneur à l’époque Si Ameur Hizem. C’était mon vrai baptême du feu alors que je n’avais pas encore clôturé mes vingt ans».
Depuis ce jour-là, Kamel Chebli était déjà prêt à prendre la relève de l’un des membres de la fameuse «garde noire» de Attouga, en l’occurrence le grand Ali Rtima auquel nous souhaitons un prompt rétablissement. «En effet, ce fut le début d’un parcours long de treize bonnes années étalées sur la période allant de 1974 à 1987. Au passage, j’ai côtoyé trois générations. Avec la première j’ai joué avec Attouga, Rtima, Zitouni, Khouini, Chaïbi (un peu), Belghith, Gouchi, Hamza et Toujani entre autres. Avec la deuxième, j’avais pour coéquipiers Bayari, Boushih, Moussa, Ayari, Ghommidh, Khedher, Chargui, Abada, etc.
Et avec la troisième j’étais la capitaine des frères Rouissi et Touati, Abdel-hak, Mhaïssi et les autres. J’ai remporté deux championnats (1979 et 1980), une coupe de Tunisie (1976), une supercoupe (1979) et une coupe maghrébine (1975)».
Et même si Kamel Chebli n’avait porté que le maillot du Club Africain (après celui du Widad Montfleury) en tant que joueur, sa carrière d’entraîneur peut être qualifiée de nomade. Il l’avait entamée avec l’Union Sportive Monastirienne (1993-94) pour la conclure avec l’ASMarsa (2009-2010) en passant par plusieurs escales en Tunisie, aux Emirats Arabes Unis, à Oman et en Libye.

«Une pizza m’a privé de la Coupe du monde»
Kamel Chebli était un défenseur infaillible dans le jeu aérien, sa taille aidant. Sa sobriété associée à une rapidité peu commune dans les duels qu’il gagnait presqu’à tous les coups et surtout sa maîtrise de l’art de botter victorieusement plusieurs coups-francs lui ont valu une place parmi la légendaire élite de 1978 qui s’était qualifiée à la Coupe du monde en Argentine. La première et la plus belle de toutes les cinq participations tunisiennes déjà vécues.
«En effet, les ‘‘soixante-dix-huitards’’ de notre équipe nationale, dont je suis très fier de faire partie, ont une aura qui les distingue de tous les autres footballeurs tunisiens. Cette aura, nous l’avons méritée grâce à la qualité supérieure de notre jeu qui a émerveillé les spécialistes à l’époque, abstraction faite des résultats de nos matches qui n’ont pas été suffisants pour nous qualifier au deuxième tour.
Vaincre le Mexique (3-1), faire match nul (0-0) avec l’Allemagne qui n’était autre que la détentrice de la Coupe du monde de 1974 et perdre sur un score étriqué (0-1) face à la Pologne était très honorable. Nous étions ces footballeurs amateurs qui ont impressionné le monde par leur talent à la fois collectif et individuel. Pour ma part, j’ai été titulaire avant la phase finale lors des éliminatoires mais une légère blessure et une mésaventure d’‘‘insubordination’’ m’ont coûté ma place en Argentine.
Ce fut à cause d’une pizza que j’ai mangée avec les autres coéquipiers (d’ailleurs) à l’insu des responsables. Devant l’intransigeance du chef de la délégation Younès Chettali et de notre coach Abdelmajd Chettali, ma réplique était considérée comme quelque peu effrontée. Et cruellement j’avais été privé de ma titularisation. Mais cela ne m’empêche pas de m’enorgueillir de cette page honorable de ma carrière et celle de toute l’histoire du football tunisien.
Par ailleurs, je n’étais pas le seul à pâtir de l’attitude de Chettali en Argentine.
Attouga, Néjib Limam, Moncef Khouini par exemple en ont souffert avant moi pour des raisons d’incompatibilité d’humeur. Mais bon, nul n’est parfait dans ce monde. Je raconte ça sans la moindre rancune contre quiconque. C’est vous dire que les souvenirs sont parfois entachés d’amertume. Ils ne sont pas toujours exquis. J’avoue quand même que Chettali était le principal constructeur du groupe de 78 notamment par l’esprit de solidarité qu’il a ancré entre les joueurs de l’équipe nationale qui était représentative de tout le pays».

«André Nagy, quelle empreinte!»
En revanche notre libéro de charme garde en mémoire l’influence ô combien marquée de son meilleur entraîneur, le Hongrois André Nagy qui a entraîné durant de longues années le Club Africain.
«J’ai tout appris de cet homme qui a marqué d’une pierre blanche l’histoire du football en Tunisie. Ses méthodes avant-gardistes, son immense culture technique et surtout sa personnalité remarquable font de lui le meilleur entraîneur ayant exercé en Tunisie. C’est d’ailleurs l’avis de tous ceux qui l’ont connu au CA et dans les autres clubs qu’il a entraînés.
Ses préceptes restent une référence. Personnellement, ils m’ont beaucoup servi dans ma carrière d’entraîneur. Même ceux qui ont connu l’illustre Fabio Roccheggiani avant moi vous diront la même chose à propos de Nagy. C’était un vrai grand entraîneur qui a énormément contribué à la gloire du Club Africain tout comme son prédécesseur italien».
Et en ce qui concerne le rôle des dirigeants au CA, Kamel regrette l’éclipse de cette grande union qu’il y avait entre toutes les personnalités qui étaient chargées de veiller à la gestion du club de Bab Jédid. Il garde toujours en mémoire l’impressionnante armada composée des notoires Azzouz Lasram, Férid Mokhtar, Ridha Azzabi, Hamadi Bousbiâa, Fethi Zouheïr et tant d’autres grands hommes du CA qui assistaient massivement et allègrement à nos matches. «Leur amour voué aux couleurs du club était traduit avec générosité que ce soit par l’apport financier ou par l’assistance et le savoir-faire qu’ils procuraient dans la gestion de ses affaires. C’était formidable!», conclut Kamel Chebli dont l’amour pour le CA est resté indefectible.

Amor BACCAR

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